Clémentine Hougue : "Le zombie s'est politisé"
Publié le 15-11-2017 07:00:42 Modifié le 05-04-2019 16:35:44
Clémentine Hougue, 35 ans, est enseignante en communication à l’Université du Mans et possède un doctorat en littérature comparée. Cette semaine aux Salons de Choiseul, elle parlera du zombie comme personnage politique.
Le zombie est une figure fictionnelle. En quoi peut-elle être politisée ?
Il faut retourner à ses racines : le zombie vient du vaudou haïtien. C’est une figure plus qu’un personnage, puisque c’est une entité sans psychologie. Le vaudou haïtien a joué un rôle dans l’indépendance de l’île, c’était la religion des esclaves. Le zombie rejoue alors le symbole de l’oppression, de l’esclavage, il devient le dominé : c’est politique dès le début. Il s’est surtout politisé avec George A. Romero (réalisateur de La Nuit des morts-vivants, NDLR) qui s’inscrivait dans de grands mouvements sociaux et une critique de l’impérialisme américain. Il y a toujours eu cette question de domination : voyez avec White Zombie, le premier film zombie, de Victor Halperin (1932) et Vaudou, de Jacques Tourneur (1943). C’était dans les années 30, un écho à la crise ouvrière de 1929. Maintenant, c’est plus complexe : le zombie cristallise les angoisses post-11 Septembre.
Comment expliquer que White Zombie et Vaudou aient ainsi lancé ce mythe du zombie ?
En 1929 est sorti le livre The Magic Island de William Seabrook qui racontait son voyage en Haïti. Entre 1915 et 1934, le pays était sous occupation américaine. Puis il y a eu cet âge d’or d’Hollywood, les Universal Monsters, les acteurs comme Lugosi, etc. Le zombie est devenu une mise à distance dans le gouffre social dans lequel les États-Unis étaient plongés. Cela rend la domination très exotique. White Zombie a été un gros succès commercial…
Le thème du zombie est de plus en plus présent.
Tout est venu, comme je le disais, après le 11 Septembre 2001. Jean-Baptiste Thoret (qui a notamment coordonné l’ouvrage Politique des zombies, NDLR) l’explique : cet attentat a été une catastrophe minérale, on n’a pas vu les corps. Puis on a parlé de terrorisme, de guerres, de menaces bactériologiques… Le zombie, aussi effrayant soit-il, reste gérable. La série The Walking Dead possède des systèmes politiques énormes : et moi, si c’était la fin du monde, comment me comporterais-je ?
La Nuit des morts vivants de Romero, en 1968, est la pierre angulaire du genre. Le sous-texte politique était assez fou pour l’époque !
C’est vrai ! Avant, le zombie était sous la domination de quelqu’un. Avec Romero, il n’y avait plus de maître. Dans le film, on ne sait d’ailleurs même pas précisément d’où ils viennent. C’est une masse informe, on change de perspective. Romero parlait de lutte pour les droits civiques, de la fracture au niveau de la population, de la violence de la société.
Et, de surcroît, le personnage principal était Afro-Américain. Suffisamment rare à l’époque pour être remarqué.
Effectivement. Romero a indiqué l’avoir casté parce qu’il était simplement bon, mais il n’empêche : un héros Noir, la dimension est différente ! Là, il est l’élément rationnel. En plus, le tout est filmé comme un documentaire.
« Dawn of the dead » l’est moins…
Oui. Romero avait assisté à l’ouverture du premier Mall, ces gigantesques centres commerciaux. Il a dit que c’était un temple de la consommation, dans lequel les gens déambulaient comme des zombies.
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En fait, le zombie représente l’organisation sociétale ?
Son renversement, son organisation, cela dépend. Au début, le zombie, c’était la représentation dominants/dominés. Romero a tout bouleversé et montré les échecs de cette organisation. Et de nos jours, c’est variable. Mais il y a toujours cette idée d’organisation humaine. Il y a, entre les zombies et l’homme, une idée de « frontière ». Et ça, c’est politique !
Ma théorie est peut-être fumeuse, mais… la représentation la plus fréquente, c’est de tuer le zombie en touchant le cerveau. Est-ce à dire qu’au fond, le zombie est très humain ?
Ah mais de toute façon, il est chargé de son passé d’humain ! Il a encore ses anciens habits. Le zombie, c’est nous. Romero le disait : « Nous sommes des zombies. » C’était sa critique. Donc oui, votre parallèle est valable.
Vous avez travaillé sur World War Z…
Oui, sur le roman de Max Brooks. Le film, lui, évacue la question géopolitique de l’ouvrage. Le livre décrit bien, à travers des rapports secrets et des témoignages, comment les États font et gèrent cette guerre dans un monde de morts-vivants. Brooks montre comment la coopération internationale fonctionne dans une telle situation. Dans le livre, Cuba s’en sort le mieux, il y a un renversement de l’équilibre international. C’est de la science-fiction politique.
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Personnellement, trouvez-vous votre compte dans le cinéma ?
J’apprécie The Walking Dead, série sur laquelle j’ai fait des recherches. C’est un House of cards avec des zombies ! (rires) Du côté des romans aussi, cela bouge un peu : Karim Berrouka, l’ancien chanteur de Ludwig von 88, a écrit Le Club des punks contre l’apocalypse zombie. Je redécouvre aussi certaines séries B, comme Zombie Strippers qui part du principe que Bush a été réélu quatre fois et que les clubs de striptease sont une activité illégale. Dans la série Santa Clarita Diet, il y a une femme zombifiée, mais émancipée. On y questionne la place des femmes dans la société. Être une zombie lui permet de renverser l’ordre social !
Vous intervenez donc aux Salons de Choiseul, sur le thème du zombie comme personnage politique. Une heure, c’est court !
Ah, c’est sûr. Je souhaite surtout qu’il y ait un dialogue les 15 dernières minutes. Ce sera un historique du vaudou haïtien à The Walking Dead, de la représentation des dominations à la représentation critique, jusqu’au changement de paradigme en 2001, dans le chaos politique du monde contemporain.
Propos recueillis par Aurélien Germain
> Les Salons de Choiseul, les 16 et 17 novembre, au lycée Choiseul à Tours.
> lessalonsdechoiseul.wordpress.com