Pauline Peretz : "Donner la parole aux gens"
Publié le 29-01-2014 07:30:10 Modifié le 29-01-2014 07:30:10
Interview de Pauline Peretz, directrice éditoriale du site participatif Raconter la vie, où tout à chacun peut se raconter.
Quand est née cette idée de Raconter la vie ?
Pierre Rosanvallon* avait cette idée en tête depuis longtemps. À travers des biais éditoriaux et web, il voulait donner la parole aux gens, parler de leur vie. La progression du Front national l’a décidé à concrétiser son projet. Il y a eu une prise de conscience politique d’un moment grave. Il fallait réactiver une solution narrative déjà existante dans la première partie du XIXe siècle, avec ces ouvriers qui n’avaient pas accès aux suffrages…
Le site fonctionne plutôt bien !
Oui, vraiment. On a parlé de nous dans Libération, France Inter… Ça a boosté le site. On a 1 500 membres inscrits, parfois il y a eu des week-ends avec un afflux de cinquante récits… Bon, tout n’est pas publiable : parfois, ce sont des pamphlets ou la forme n’est pas appropriée. Et ces derniers jours, il y a eu beaucoup de demandes de partenariats.
Vous êtes plutôt surpris de ce succès ?
Agréablement surpris par la couverture des médias, mais aussi par les retours sur le site et des récits de qualité littéraire et sociale !
Vous parlez de « Parlement des invisibles ». D’où vient ce terme ? Et comment pourrait-on les définir ?
C’est le titre donné au manifeste de Pierre Rosanvallon qui explique son ambition. Au départ, c’est un souci politique qui l’a animé : ces gens dont on ne raconte pas la vie, qu’on « méprise », qu’on ignore. Il fallait leur donner une représentation qui passe par la narration, un récit qui ait un poids politique et fasse émerger les questions sociales. Ces invisibles, ce sont ceux dont on ne parle pas. Ces gens loin du radar.
Y a-t-il certains récits qui vous ont particulièrement marquée ?
Dans notre collection, on a « Chercheur au quotidien » par exemple : un chercheur connu, mais personne ne sait ce qu’il vit tous les jours, ses soucis… Sur le site, il y a aussi ce « Ligne 11 ». C’est ma ligne de métro ! (rires) Le conducteur du métro raconte tout, on voit tout, les malentendus, son quotidien… C’est très réussi. Ou encore « Sous le même toit », qui parle de la cohabitation forcée entre deux personnes récemment divorcées. Ah, et l’histoire d’une hypokhâgneuse de banlieue.
Est-ce qu’on peut donc parler de roman de la société d’aujourd’hui ?
Oui, c’est la « base-line » du site. On encourage la narration pure, la véracité qui nous anime : c’est un témoignage social, pas seulement un roman.
Pour vous, y a-t-il une dérive démocratique en ce moment ? Comment se traduit-elle ?
(hésitante) On voit un sentiment d’indifférence d’une classe politique qui s’éloigne du terrain, une dérive vers le populisme et des revendications populistes.
Êtes-vous fière de participer à ce site ?
Très fière et heureuse, honorée. J’ai toujours eu ce souci de proximité à l’égard de la société. Et avec ce site, j’apprends beaucoup…
*Né en 1948, à Blois, cet historien occupe une chaire au Collège de France et dirige les sites La Vie des idées et Raconter la vie. Propos recueillis par Aurélien Germain
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