Handicap : accompagner grâce au travail
Publié le 22-06-2022 09:31:21 Modifié le 22-06-2022 09:52:21
L’ouverture du Café joyeux, à Tours, a mis en lumière l’emploi des personnes en situation de handicap. Dans l’ombre, les personnes handicapées n’ont pas attendu ce café pour travailler, comme c’est le cas dans les ESAT, Établissements et Services d’Aide par le Travail. Envie d’en savoir plus ?
Vendredi. Tout le monde s’affaire. On passe le balai, et on déplace les meubles pour accueillir le public. L’ESAT Les Vallées, à Luynes, a en effet choisi d’ouvrir ses portes au public le mardi 21 juin : « l’événement s’adresse aux personnes handicapées et à leurs proches intéressés par notre structure, bien sûr. Mais nous avons aussi déposé des dépliants dans les boîtes aux lettres du quartier, où les voisins ne savent pas toujours ce que nous faisons ici », explique Aline Palleschi, directrice adjointe de la structure.
Et la publication récente du livre-enquête Handicap à vendre par le journaliste Thibault Petit, pour dénoncer l’exploitation à bas coût des travailleurs et le filtrage en fonction de la productivité des candidats, n’est pas faite pour arranger les choses : « Bien sûr, les réalités décrites existent malheureusement dans certains ESAT, mais pas ici. Il faut bien comprendre qu’un ESAT n’est pas une entreprise, c’est un établissement médico-social. Mais nous avons conscience du risque de glissement », complète Aline Palleschi.
À Luynes, dans les ateliers « conditionnement », on fabrique des caissettes en bois pour des fromages de chèvre, on assemble boulons et pièces de plastique, on fabrique des boîtes de toutes sortes. Un peu plus loin, des ordinateurs servent aux prestations de saisie informatique. À l’atelier « espaces verts », on prend l’air : pour des entreprises ou chez des particuliers, l’équipe entretient les arbustes, pelouses et autres massifs de fleurs. D’autres travailleurs interviennent aussi pour du nettoyage de voiture 100% écologique (sans eau ni produits chimiques).
« Mais on n’est pas là pour faire du chiffre ! Le travail est un support à l’accompagnement des personnes que nous accueillons. » François est moniteur, et suit une douzaine de travailleurs dans leurs parcours respectifs. Avec ses collègues, ils créent des modes d’emploi illustrés, découpent les missions en tâches successives, ou adaptent les gabarits par exemple.
« On est là pour adapter le travail aux capacités de chacun, et pour valoriser leurs compétences. On se questionne en permanence : est-ce que la personne se sent bien dans son travail ? Je ne suis pas sûr que des employeurs du milieu ordinaire se posent ce genre de questions pour leurs salariés ! ». En témoigne la variété des temps de travail (partiels, mi-temps, temps plein), ou cet écran situé dans le deuxième atelier, qui diffuse chaque matin une vidéo de la kiné pour un échauffement physique avant d’attaquer la journée.
Moniteurs, assistante sociale, psychologue, kinésithérapeute… Ils sont en effet une vingtaine de salariés pour encadrer et accompagner une centaine de travailleurs. « C’est un métier riche, où l’humain a toute sa place. En dix ans passés ici, j’ai vu aussi comment évoluait la société, et notre défi est que l’ESAT évolue aussi. Ce sont des enjeux liés à la citoyenneté, » commente François.
Travailleurs extra-ordinaires
Manuela, 40 ans, est arrivée il y a dix jours. « Dans la restauration rapide, mon statut de travailleuse handicapée n’était pas pris en compte. L’aggravation de mes problèmes de dos m’a motivée à me tourner vers les ESAT, car je ne veux pas rester chez moi sans travailler. Ici, on travaille à son rythme, et après quatre ans sans emploi, je me remets dans le bain. » Son but : retourner dans ce qu’on appelle ici « le milieu ordinaire ».
Comme Manuela, de plus en plus de personnes arrivent à l’ESAT après un passage dans le monde des travailleurs lambda : « Historiquement, nos établissements accueillaient des personnes avec déficience intellectuelle, issues des IME (Instituts Médico-Éducatifs). Mais depuis la loi de 2005, le handicap psychique et social est aussi reconnu, et les parcours sont donc de plus en plus divers », ajoute Aline Palleschi.
L’ESAT est pour certains une simple étape après un monde ordinaire qui les a abîmés, où ils ne trouvent plus leur place ; pour d’autres, c’est un aboutissement. L’équipe y accompagne donc chacun vers son projet, qui signifie parfois aller travailler seul au sein d’une entreprise extérieure… toujours sous le regard vigilant et bienveillant des moniteurs, anges-gardiens de ces travailleurs qui ne sont pas sous nos yeux, mais qui n’en ont pas moins l’air joyeux.
Maud Martinez