Les étudiants de Tours ont disparu...
Publié le 20-11-2013 07:30:33 Modifié le 20-11-2013 07:30:33
Rues mortes, amphis désertés, couloirs vides : où sont passés les 23 045 étudiants tourangeaux ? Reportage (fiction)
Sa broche à kebab tourne au ralenti. Depuis deux jours, elle scrute avec attention le moindre signe de vie sur la place du Grand Marché. « Il n’y a pas un chat », soupire Raji, qui gère avec son mari Chez Sam, une institution chez les jeunes Tourangeaux. « Les étudiants sont une grande partie de notre clientèle. Qu’est-ce qu’on va faire s’ils ne reviennent pas ? », s’inquiète- t-elle, la mine désabusée. Comme elle, toute la ville s’interroge, se pince pour sortir d’un mauvais rêve.
Les 23 045 étudiants de l’université François-Rabelais ne sont plus là. Envolés dans la nature, volatilisés 48 heures plus tôt. Aucune piste plausible ou rationnelle n’a émergé. Des illuminés envoient des vidéos d’Ovni à la rédaction de tmv, alors que Raël (oui, il existe encore) a débuté un campement sur les bords de Loire et annonce une fin du monde imminente. Les médias nationaux s’intéressent à cette étrange disparition, et Libération n’a pas manqué l’occasion de placer un jeu de mots bien senti : « Les étudiants passent leur Tours ». « Ça ne nous fait pas rire », bougonne un adjoint au maire, préférant rester anonyme. Il décrit l’ambiance place Jean-Jaurès : « Ici, tout le monde est abasourdi. On attend de voir la suite. Jean Germain a convoqué un conseil municipal extraordinaire pour la fin de semaine. Il est un peu paniqué ». Et il n’est pas le seul.
Un barman dépité
Il suffit de se promener dans le Vieux- Tours, aux abords de la place Plumereau pour sentir la désarroi des commerçants. Un barman, dépité. « Les étudiants, c’est au moins 80 % de ma clientèle. Je fais quoi sans eux ? Je me mets aux verveines et trucs bio pour les bobos ? », lâche-t-il, regrettant presque « les vomis à nettoyer quotidiennement ». Quelques mètres plus loin, un magasin de bijoux. Le propriétaire est prêt à enlever son autocollant « – 20 % pour les étudiants ». « Il y en a qui vont devoir mettre la clé sous la porte, c’est certain. Parce qu’on a beau dire que les étudiants sont parfois en situation précaire, ils ont quand même de l’argent », confie ce commerçant. Ils ont compris que l’économie tourangelle allait prendre une gifle. Certains prônent une réorientation de leur cible, sans trop y croire.
Une habitante de la rue Colbert est une des rares à se réjouir. « J’ai enfin pu dormir tranquille. J’en avais marre chaque nuit d’entendre David Guetto… Guetta, me casser les oreilles. Enfin, vous voyez », raillet- elle avec un sourire narquois. Sa rue s’est transformée en désert urbain. Dans son immeuble, huit logements sur les dix étaient occupés par des étudiants. Chez Bed&School, agence spécialisée dans le logement étudiant, Vincent garde la tête froide et tente une analyse : « 55 % des étudiants sont dans le centre-ville. Il va y avoir un parc de logements vides important. Si la situation perdure, il faudra trouver un nouveau type de locataires pour être rentable. Pourquoi pas s’orienter vers ceux qui travaillent sur la ligne grande vitesse », avance le jeune homme. Il prévoit des perspectives plus sombres : « Le loyer moyen d’un étudiant, c’est entre 350 et 390 euros. S’ils ne reviennent pas, les propriétaires se feront la guerre et les loyers baisseront. Des agences vont prendre un coup », énonce-t-il.
Côté culture, ça grimace sévère. Les étudiants ont un budget « temps libre » conséquent, en moyenne 79 euros pour les garçons et 59 euros chez les filles. Terminées les salles pleines pour les concerts. Les multiples groupes étudiants ne dynamiseront plus la scène tourangelle ces prochaines semaines. « Tours est amené à devenir une ville morte », prédit une figure du milieu culturel local. Une virée sur le campus des Tanneurs résume l’ampleur du désastre. Un prof reste immobile à son bureau depuis deux jours. Il est optimiste. « Ils vont revenir », assure-t-il. Devant lui, des rangées vides. Des flyers pour la prochaine soirée étudiante traînent sur le sol.
À quoi vont désormais servir ces locaux ? « On va peut-être les louer à des petites sociétés. Et encore, quelle entreprise voudra s’installer ici s’il n’y a pas de jeunes prêts à rentrer dans la vie active ? » peste-t-on du côté de l’université. Le retentissement secoue aussi le monde associatif et sportif. Au CEST, l’équipe de badminton a perdu une large partie de ses joueurs. « C’est la section où il y a le plus d’étudiants », indique-t-on au club. Plusieurs associations réduisent leurs activités. D’autres, gérées par des étudiants, ont disparu. Plus que les impacts économiques, la ville fait la tête. Aucune vie le soir, c’est le silence absolu. Terminés les chants paillards à 4 h du mat’, les soirées à tchatcher et dragouiller sur les bords de Loire, les longues queues devant la Civette pour acheter un paquet de clopes en pleine nuit. « Les étudiants mettaient de la bonne humeur dans la ville », raconte Raji, déjà nostalgique. Le sourire aux lèvres, elle se souvient de gars sérieusement poivrés lui demandant « du poisson cru », ou débutant une bataille de farine sur la place du Monstre. Ils vont lui manquer. À elle, comme à tous les Tourangeaux
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