Suicide de Jean Germain : un livre pour comprendre
Publié le 01-10-2015 07:24:47 Modifié le 01-10-2015 07:24:47
Alain Dayan et Arnaud Roy publient ce jeudi un livre qui revient sur le suicide de Jean Germain, le 7 avril dernier, au matin de l’ouverture du procès de l’affaire des mariages chinois. Interview croisée.
Pourquoi avoir accolé les mots de suicide et de politique dans le titre de votre livre ?
Alain Dayan : Ce qui nous a intéressés, c’est le double sens. C’est évidemment bien plus compliqué que ça, mais c’est la politique qui a tué Jean Germain. La conversation qui ouvre le livre fait d’ailleurs état des différends que l’on a pu avoir au sujet du titre, Arnaud et moi. J’estimais que résumer la vie d’un homme comme lui à son geste final était un raccourci. Mais il y a le mot enquête aussi dans le titre et nous y tenons.
Une enquête, justement, qui met à jour un engrenage fatal dans lequel Jean Germain se serait senti piégé. Dans cet engrenage, quel est le rôle de la justice ?
Arnaud Roy : C’est la première phrase de la lettre d’adieu de Jean Germain… Elle est simple : “ Des indiscrétions de personnels du TGI révoltés me laissent penser que déjà, alors que les débats n’ont pas eu lieu, le ministère public va requérir de la prison ferme à mon encontre, pour des raisons plutôt politiques. C’est insupportable. ”
A.D. : Faire sortir une réquisition une semaine avant un procès, rien que ça… Et quelle réquisition ! Un an de prison ferme pour de tels faits, c’est hallucinant ! Le procès doit s’ouvrir le 13 octobre et c’est une anomalie majeure qu’il ait lieu à Tours. Nous le révélons dans le livre : un des prévenus est lié de façon très proche à quelqu’un dans le tribunal. Il y a donc une interférence suffisamment importante pour que cela pose une question majeure.
A.R. : En tant que journaliste, je ne pense pas qu’il y ait eu battage médiatique. Il y a eu un traitement classique. On n’est pas sur un traitement de tabloïd à l’anglaise, ni sur une presse très dure à l’américaine. Ici, en Touraine, on est plutôt sur une presse tempérée.
A.D. : Je n’ai jamais dit, moi non plus, qu’il y avait eu un lynchage médiatique et je ne l’ai pas écrit dans le livre. Mais Jean Germain analysait l’époque comme étant particulièrement toxique pour les hommes politiques. Il y a aussi des erreurs qui ont été écrites, involontaires, comme je le dis dans le livre, mais elles faisaient sens pour quelqu’un comme Jean Germain.
Le troisième volet de l’engrenage, c’est le complot politique que vous révélez dans le livre…
A.D. : On avait parlé, en filigrane d’un éventuel corbeau au moment du déclenchement de l’affaire. Nous, nous mettons en évidence le complot politique par lequel tout est arrivé. Il y a, à un moment, des gens qui se sont dit “on va monter un dossier que l’on va envoyer au Canard enchaîné et à la presse locale” pour nuire au maire.
A.R. : Précisons que ce n’est pas du tout un complot de grande envergure. C’est un complot de petitesse, mais un complot qui tue… Il y a la mort d’un homme au bout.
Comment Jean Germain a t-il pu se laisser enfermer ainsi ?
A.R. : Ce qui l’a desservi, je crois, c’était d’être à ce point taiseux et discret. Il parlait de tout cela avec certains de ses amis, mais c’est tout. Il aurait dû, sans doute, allumer des contre-feux, avec la presse, notamment.
A.D. : Et puis il estimait que, franchement, ce qu’il avait à se reprocher allait, à un moment, se dégonfler tout seul…
A.R. : Sa véritable erreur, c’est de ne pas s’être séparé très rapidement de Lise Han…
A.D. : Pour lui, ce qui comptait, c’était que ça marche. La Chine représentait un enjeu très important pour la ville. Il s’est dit que si Lise Han était à la SPL (Société publique locale de tourisme, NDLR) et non plus au cabinet du maire, on ne pourrait plus rien lui reprocher et qu’elle pourrait continuer à travailler. Ça n’était pas dans ses manières de lâcher les gens…
Et la défaite aux municipales, a-t-elle joué un rôle dans son geste ?
A.R. : On ne peut pas le dire catégoriquement… Après la défaite, il a commencé à oublier l’affaire et il était, au contraire, assez épanoui comme sénateur. Il adorait se promener dans le quartier du Luxembourg, auprès des petites librairies où personne ne le reconnaissait. Il vivait dans son appartement à Paris avec sa compagne et il revenait le week-end à Tours. Il était heureux. Il disait lui-même qu’il était soulagé.
Depuis quand mûrissait-il son acte ?
A.R. : On ne sait pas depuis combien de temps il y pensait. Ce que je peux dire avec certitude, c’est que la veille, il avait pris sa décision, puisqu’il a écrit des lettres le 6 et le matin du 7. Le vendredi précédant, il fait la fête comme tous les vendredis midi, au café d’Isa, place des Halles avec ses proches. Le dimanche de Pâques, 48 heures avant le drame, il dit à son frère « s’ils veulent ma peau, je terminerais comme papa. » C’était peut-être une première annonce.
Propos recueillis par Matthieu Pays
>>Alain Dayan a été adjoint au maire de Tours de 1995 à 2014. Il était un ami proche de Jean Germain.
>>Arnaud Roy est journaliste indépendant, il collabore avec différents médias et est cofondateur du site d’informations 37° MAG.
Enquête sur un suicide politique, Jean Germain, maire de Tours. 16,50 €. Cherche midi éditeur.
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