Tours est-elle (vraiment) une ville de cirque ?
Publié le 28-11-2018 06:36:48 Modifié le 28-11-2018 06:36:48
Qu’il soit pratiqué sous un chapiteau étincelant ou dans la rue, le cirque plaît souvent. Mais au-delà des tournées de grandes enseignes accueillies chaque année sur le territoire et du Festival international de la Métropole, quel avenir pour le cirque ?
Les plus anciens se souviennent de l’âge d’or du cirque en Indre-et-Loire. C’était au milieu du XXe siècle. De 1933 à 1972, Charles Spiessert, directeur du célèbre cirque Pinder, avait installé ses entrepôts dans son immense propriété de Chanceaux-sur-Choisille. Matériel et véhicules y étaient stockés et bricolés durant les longs mois d’hiver, alors qu’artistes et animaux y répétaient leurs prochains numéros. En début de saison, la troupe commençait immanquablement sa tournée à Tours, en plein centre-ville, place de la gare, attisant la joie et la fierté des habitants.
C’est sur cette base que la Métropole tourangelle semble fonder son ambition de devenir une référence en la matière, grâce à son Festival International du cirque [qui a connu son lot de polémiques en raison de numéros avec des animaux, NDLR], dont la 2e édition s’est déroulée les 28, 29 et 30 septembre dernier.
« Selon moi, il y a quatre créneaux à développer pour favoriser le rayonnement et l’attractivité de la Touraine, explique Cédric de Oliveira, vice-président en charge des équipements culturels et de la communication de Tours Métropole. Ce sont les arts de la rue, le livre, la musique classique et les arts du cirque. » Et de poursuivre : « Les Tourangeaux ayant été bercés par les années Pinder, l’organisation d’un Festival international de cirque se justifiait. » Soit. Mais qu’en est-il du cirque les 362 autres jours de l’année ?
Certes, le secteur est dynamique sur le territoire. Enseignement et création sont assurés par plusieurs compagnies et familles circassiennes. Mais, comme l’économie de l’ensemble du secteur du spectacle vivant, voire de la culture, celle du cirque se fait raide comme le fil du funambule… La concurrence ne cesse de s’accroître – en France, le nombre d’artistes de cirque est passé de 71 en 1987 à 1107 en 2001 – alors que les aides publiques diminuent et que la diffusion reste limitée. La Famille Morallès, installée à Monthodon depuis 1970, en témoigne.
« Nous étions une compagnie d’une dizaine d’artistes, raconte Didier Mugica, alias Gaston. Aujourd’hui, nous sommes deux et présentons un spectacle dans une forme artistique plus contemporaine. Malheureusement, en Touraine, le cirque nouveau est très peu représenté. On tourne de plus en plus en dehors de la région Centre. C’est regrettable. »
De son côté, le cirque Georget, créé en 1982, fort d’une solide réputation départementale en termes de pédagogie circassienne, confirme. « Nous sommes une entreprise, explique fièrement Christelle Georget. On ne dépend de personne et ça a toujours été comme ça. Malgré tout, la conjoncture est très difficile. Nous ne recevons aucune aide. Ce qui nous sauve, c’est la fidélité de nos spectateurs. Ils reviennent d’année en année pour notre spectacle de Noël car ils apprécient le côté intime de notre petit chapiteau. »
C’EST QUOI CE CIRQUE ?!
Pour la compagnie tourangelle C Koi Ce Cirk, l’année 2018 a été fatale. Alors qu’elle enseignait le cirque à 3 000 enfants dans son école et au sein d’une vingtaine de structures socio-culturelles du département depuis 13 ans, alors qu’elle était débordée de travail et que ses listes d’attente n’en finissaient pas, elle a dû renoncer à son activité pédagogique et licencier ses cinq salariés en juin dernier, faute de moyens.
Pour Ludovic Harel, son fondateur qui poursuit l’activité spectacle de la compagnie, le seul espoir pour faire vivre le cirque en Touraine, c’est de voir naître une vraie volonté politique. « Aujourd’hui, un budget colossal est engagé sur le festival international, pour 3 jours dans l’année. Alors qu’on pourrait créer un vrai lieu de pratique et de proposition artistique, avec les acteurs de terrain, pour une pratique quotidienne. »
Une ambition partagée par Didier Mugica : « Le territoire a besoin de lieux où l’on montre LES arts du cirque. Où l’on pourrait voir des spectacles traditionnels mais aussi d’autres formes plus contemporaines, plus difficiles d’accès. Car il existe un public pour ça. Un public qui s’intéresse plus à l’aspect culturel des choses qu’à la vente de popcorn, à qui on pourrait offrir autre chose que Pinder. »
Qu’à cela ne tienne. Cédric de Oliveira a l’ambition de « regrouper l’ensemble des compagnies locales au sein d’une infrastructure culturelle dédiée aux arts du cirque. Avec pourquoi pas une grande école internationale. » Malheureusement, l’idée semble traîner dans les tuyaux de l’agglo depuis bientôt 20 ans…
En attendant, les appétences de la Métropole se tournent davantage vers le côté clinquant du cirque. S’il est vrai que les deux éditions du Festival ont attiré 27 000 personnes au total, elles ont bénéficié d’un budget de communication faramineux : 300 000 € pour la première édition, dont 100 000 € pour la seule communication et 50 000 € pour la prestation achetée à l’entreprise privée Imperial Show, qui empoche donc l’ensemble des recettes de la fête.
Une opération sans intérêt selon Emmanuel Denis, conseiller municipal de l’opposition. « Pour se construire une identité, il faut certains ingrédients. Et ça commence par l’implication des acteurs locaux. On a de vraies compagnies de cirques ici. On aurait plus intérêt à capitaliser là-dessus, plutôt que de faire venir un show clé-en-main, qu’on verra ailleurs. »
Comme en Corse, qui accueille chaque année, depuis 8 ans, son Festival International de cirque, organisé par… Imperial Show. Et qui dit même organisateur dit mêmes numéros (à deux exceptions près), même présentateur, même orchestre et même plus grand chapiteau d’Europe…
Enquête : Jeanne Beutter
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