Art-thérapie : le soin, tout un art
Publié le 10-09-2014 07:30:43 Modifié le 10-09-2014 07:30:43
Rencontre avec des art-thérapeutes tourangeaux pour parler de ce métier, de plus en plus visible dans les institutions médicales.
J’ai envie de coller des bulles, là, tout autour et puis de les éclater ! » Isabelle*, 10 ans, sérieuse, cherche un nouveau moyen de continuer la peinture qu’elle a entamée avant l’été. Elle est assise devant sa toile qui représente un chapiteau de cirque, très coloré. De ses petits doigts, elle essaye de faire exploser les alvéoles d’un papier bulle résistant. Elle ne s’éparpille pas pour autant et reste concentrée sur l’avancement de son œuvre. À ses côtés, Audroné Berthier écoute, intervient très peu, propose de manipuler elle-même les ciseaux. L’art-thérapeute, bienveillante, dirige avec douceur la séance hebdomadaire. Tous les vendredis, elle rencontre Isabelle dans son atelier à l’Institut d’éducation motrice (IEM) Charlemagne, à Ballan-Miré. La pièce, pas très grande, est baignée d’une douce lumière qui rentre par une grande fenêtre. Les œuvres de ses patients remplissent l’atelier bordé de grandes étagères. Sur celle-ci, des dizaines de boîtes, de rouleaux de papier, de peinture, de capuchons, de petits objets… « Quand vous rentrez, vous pourriez penser que c’est le bazar, rigole Audroné Berthier. Le but, c’est que tout le matériel soit visible, ça permet de donner des idées aux patients, que ce ne soit pas imposé. » La séance continue. Isabelle plonge consciencieusement un pinceau dans un petit pot de colle blanche et l’applique par petite touche sur son tableau. Elle prend ensuite les bulles soigneusement découpées par Audroné Berthier et les presse délicatement contre la toile déjà peinte. L’art-thérapeute s’extasie devant la multitude de points en plastique : « On dirait de la pluie ! » Isabelle agite les bras en souriant.
Smiley et handicap
Au bout d’une heure de discussion et d’art plastique, Audroné Berthier annonce la fin de la séance. « Alors, Isabelle, tu trouves que c’est joli ce que tu as réalisé cet après-midi ? » Elle tend alors un morceau de bois avec des smileys plus ou moins heureux dessus. Isabelle saisit celui avec un petit sourire avant de sortir de l’atelier. Audroné Berthier est heureuse de la séance. Elle s’occupe d’une vingtaine de patients à l’IEM Charlemagne. Handicapés moteurs, certains trouvent dans l’art-thérapie une espace de liberté bénéfique. « Mais contrairement à ce qu’on peut lire parfois, l’art-thérapie ne guérit pas comme un médicament peut le faire, explique-t-elle. Si c’était le cas, Van Gogh aurait encore ses deux oreilles ! Mais je pense que l’art-thérapie permet de débloquer certaines choses. Contrairement à un kiné ou un ergologue, nous travaillons sur la partie saine du corps, ce qui marche bien. »
Audroné Berthier travaille main dans la main avec l’équipe médicale. « Chaque patient est unique. L’art-thérapeute s’adapte à eux. Dans quelques minutes, je vais recevoir Baptiste*. C’est un garçon qui ne s’exprime presque pas avec la parole. Nous avons essayé de trouver quelque chose qui lui plaisait, mais finalement, l’art plastique ne semblait pas lui convenir. Au bout de quelques séances, c’est la musique qui lui a plu. » Le garçon rentre à son tour dans l’atelier d’art-thérapie. Audroné Berthier lui propose d’écouter un CD et sort d’un placard une boîte remplie de maracas, de tambours et de petites percussions. Baptiste saisit un petit flacon rempli de graines et se met à battre en rythme alors qu’un morceau de blues sort des enceintes. Pendant une heure, le jeune homme ne parle pas beaucoup mais s’exprime avec ses percussions et son plaisir de jouer de la musique. Audroné Berthier a découvert l’art-thérapie au bout d’un long parcours professionnel. Le travail avec les personnes handicapées, elle l’a commencé dans son pays d’origine, en Lituanie. Bénévole dans une association handisport, elle est passée par la case Beaux-arts et le sport professionnel. Parcours atypique, quand elle s’installe en France, elle rentre en tant qu’éducatrice à l’Institut Charlemagne en 1999. Un jour, alors qu’elle s’occupe d’un atelier d’art créatif, une psychologue lui lance : « Mais tu fais de l’art-thérapie en fait ! » Audroné Berthier connaît vaguement le terme. Elle se renseigne. Elle tombe sur l’Afratapem, l’école de Tours. Elle est diplômée en 2005.
Cas d’école
Direction la Tranchée où se trouve la formation d’art-thérapie de Tours. C’est un cas unique en Europe. Créée en 1976, elle forme chaque année des professionnels agréés par l’État. L’Afratapem a exporté son modèle dans plusieurs villes en France mais aussi en Corée, en Croatie, au Portugal, au Brésil… « L’art-thérapie est un terme très à la mode en ce moment, commence Richard Forestier, un des fondateurs de l’école et responsable du diplôme universitaire. Notre problème aujourd’hui, c’est que n’importe qui peut porter le titre d’art-thérapeute. Il suffit de faire quelques semaines de formation dans une école peu scrupuleuse et non reconnue. » Remonté, Richard Forestier insiste sur le sérieux des professionnels qui sortent de l’Afratapem : « Il faut faire attention avec l’art. C’est un domaine qui peut être néfaste pour certaines personnes. Une séance d’art-thérapie est forcément prescrite par un médecin au sein d’une équipe pluridisciplinaire. » Pour cette sommité de l’art-thérapie, il ne faut pas non plus confondre la pratique traditionnelle, liée à la psychologie, et celle moderne apprise à l’Afratapem. « Elle s’adresse à des patients sensibles aux arts, explique Richard Forestier. Elle exploite le potentiel artistique dans un but thérapeutique. » Musique, art plastique, calligraphie… L’art-thérapie possède ses spécialités et demande aux professionnels d’être compétents dans leur domaine artistique.
Les origines
Pour Richard Forestier, les prémices de la discipline sont nées dans les écoles de musique en Touraine. Au début des années 1970, plusieurs communes ont commencé à proposer l’apprentissage d’un instrument à tout le monde, pas seulement dans le but de former des musiciens aguerris, mais aussi pour ceux qui voulaient se faire plaisir. Cette pratique a ensuite franchi l’entrée des écoles. En 1975, des pédopsychiatres, à Tours, ont commencé à faire rentrer l’art dans leur service. La création de l’Afratapem était la suite logique. « L’art-thérapeute ne donne jamais son avis sur l’œuvre de son patient. C’est lui qui évalue sa pratique. Je me rappelle d’un vieux monsieur en maison de repos qui prenait beaucoup de plaisir à reproduire des cartes postales. Autour de lui, tout le monde s’est mis à lui rapporter des cartes postales de retour de vacances. Il se retrouvait à chaque fois avec une pile à recopier. On ne peut pas dire qu’il y avait une once de créativité dans ce qu’il faisait. Seulement, il n’était jamais aussi heureux que quand il se penchait sur ses dessins. Il diffusait en plus son bonheur. »
* Les prénoms ont été changés.
ALLER + LOIN
La bible, pour l’école de Tours, c’est le livre de Richard Forestier. Mis à niveau régulièrement, c’est une référence qui évolue en même que la profession et les recherches universitaires.
Tout savoir sur l’art-thérapie, ed. Favre, 7e édition.
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