Interview Xavier Greffe : "Un tournant culturel"
Publié le 05-11-2014 07:27:06 Modifié le 05-11-2014 07:27:06
Xavier Greffe, professeur de sciences économiques à la Sorbonne, est l’auteur de La Politique culturelle en France (2009).
On parle souvent de politique culturelle en France. Mais est-elle encore un modèle, voire d’actualité ?
Oui et non. Par rapport à d’autres pays, la part de l’Etat et des collectivités locales est très forte. C’est incontestable. Encore aujourd’hui, le système de la culture en France est un système « drivé » par les pouvoirs publics. Mais il y a un autre aspect, plus surprenant : la France devrait faire attention à des pays comme le Japon ou l’Angleterre, qui ont autant d’actions culturelles, même s’il y a moins de gratuité. Depuis 2008 et 2012, en France, il y a une inversion sensible des tendances budgétaires. Pour les collectivités locales (surtout les communes), c’est 80 % des dépenses culturelles, contrairement au département ou à la région qui dépense beaucoup moins en matière de culture. Les communes dépensent autant que l’Etat. Pour l’Etat, justement, ça a baissé. La présentation budgétaire a changé. Ce qui continue d’augmenter, ce sont les taxes (par exemple, sur l’audiovisuel). Est-ce à cause des tendances conjoncturelles ? C’est probable… L’autre débat, c’est l’efficacité de ces dépenses ! La consommation culturelle reste une consommation sélective. En France, c’est traditionnel, on s’occupe peu des industries créatives. Comme si la culture était sanctuarisée. Plus elle est pure, mieux c’est…
On parle aussi d’exception culturelle…
Oui, mais c’est de plus en plus partagé, y compris dans d’autres pays. Dans les sommets, on cite de moins en moins la France. D’autres s’y intéressent aussi !
Pensez-vous que l’on soit dans une impasse, au niveau des subventions culturelles ?
Il y a une grosse difficulté dans la collectivité : on se dit, « c’est le musée ou l’hôpital ? » Et ça ne peut être que l’hôpital. Pour l’Etat, c’est différent. Il peut dire « je dois protéger les collections ». L’Etat a un peu de marge. Il y a aussi deux aspects à retenir : d’abord, la possibilité de faire financer les autres, par exemple le crowdfunding. Cela peut marcher dans le patrimoine, même si je ne pense pas que ce soit durable. Et ensuite, les apports privés, mais c’est ambigu et le gouvernement n’ose pas aller trop loin. Mais il y a une baisse des subventions, c’est clair ! Même pour le Louvre qui voit ses subventions baisser et les prix d’entrée augmenter. Ceci dit, je suis inquiet pour les collectivités locales. Ce serait un drame. Par exemple, pour les subventions aux Centres dramatiques nationaux : elles sont plafonnées. On est déjà de l’autre côté de la montagne…
C’est un tableau peu reluisant…
Disons que c’est un tableau plus compliqué qu’il n’en a l’air.
Est-ce que l’on ne devrait pas, à l’échelle nationale, renouveler notre politique culturelle ?
Je pense, oui. On doit sortir la culture de son ghetto. Les effets potentiels de la culture sur le développement sont considérables. Il y a un domaine où c’est trop raté : le lien culture/éducation. On dit toujours qu’on doit amener les enfants au musée. Mais si les enfants font des ateliers réguliers dans les musées, ça va développer ses capacités créatives. Par exemple, au Louvre Lens : il ne s’agit pas que d’un musée pour que les touristes s’y arrêtent ! Il faut créer des ateliers design, profiter de l’occasion, ou pour reprendre l’expression anglo-saxonne « out reaching » (sortir des murs, NDLR). Le problème, c’est qu’on ne voit pas le musée comme une source de création pour le territoire. Le débat financier pourrait changer de nature. Si la population sent que c’est un chantre de vie, on va voir le musée ou le théâtre sous un angle différent. Les milieux culturels et les artistes sont très conservateurs… Attention à ne pas déculturaliser la culture. En France, il y a un décalage entre art et culture. On dit culture, mais on ne fait que de l’art. C’est l’art qui doit irriguer la culture.
Les choses changent ?
La France est à un tournant culturel. Elle a fait quelque chose d’exceptionnel, mais aujourd’hui, c’est très fragile. Mais les villes y sont sensibles : Nantes, Bordeaux, Nancy… Il faut sortir de la dimension purement artistique.
Vous avez une vision plutôt pessimiste, non ?
Non, ouverte ! (rires) C’est vrai qu’il y a une exception française, mais l’erreur est de croire que les autres pays ne sont rien à côté de nous.
À votre avis, quel était selon vous le « meilleur » ministre de la Culture ?
(longue hésitation) Difficile de répondre… Je dirais Lang et Malraux, ou d’autres comme Duhamel, car il a résolu des problèmes. Je n’ai pas beaucoup d’admiration pour les derniers, à part Filippetti. Maintenant, ce ne sont plus des ministres, mais des directeurs d’administration centrale liés à un président. Ils n’ont pas de projet. Lang a ouvert des portes extraordinaires, Malraux aussi. D’ailleurs, il n’existait aucun ministère de la Culture avant lui ailleurs. Mais il avait aussi beaucoup d’argent dans son budget…
Propos recueillis par Aurélien Germain
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