Le Tours gratuit : donnez comme vous prenez
Publié le 26-03-2014 07:30:18 Modifié le 26-03-2014 07:30:18
Café en attente, Gratiferia, Happy troc... Des mouvements ponctuels de gratuité venus du monde entier se multiplient à Tours, entre nouveaux modes de consommation et façon locale de repenser les échanges humains.
Sur une grande ardoise noire, à l’Instant ciné rue Bernard-Palissy, treize petits bâtons suivent le mot café. Comme ces traits que l’on trace, en comptant les jours. Là, ce sont des consommations « en attente » : quelqu’un paye deux cafés et en laisse un sur ce tableau, afin de l’offrir à un(e) inconnu( e). Bienvenue dans une de ces nombreuses zones gratuites qui prolifèrent tout doucement à Tours. Un petit geste désintéressé pour changer les choses. Comme cela. Parce qu’on sous-estime parfois la largesse du cœur humain.
Ce concept (aussi appelé café suspendu), Sylvain Petitprêtre, le gérant de l’Instant ciné, y a immédiatement accroché. « Quatre étudiantes sont venues me voir et je me suis tout de suite lancé. » Il prend son ardoise, y inscrit les consommations en attente : café, expresso, thé ou encore jus de fruits… Ses clients se prêtent au jeu. Payer 4 € au lieu de 2 € pour être solidaire, aider. « L’exemple typique, ce sont les petits groupes d’étudiants. S’ils sont cinq ou six, il y en aura souvent un qui ne peut rien consommer, faute de moyens. » Il peut donc prendre un café suspendu. « Il y aussi des retraités… », en raison de leur petite retraite ou simplement pour retisser un lien social un peu usé. On se pose alors la question des malintentionnés qui voudraient avoir leur petit café gratuit : « Alors oui, bien sûr, ça marche sur la confiance », souffle Sylvain Petitprêtre, avec un large sourire.
Lancée au départ en Italie, cette idée de café en attente a beaucoup plu à quatre copines de l’IUT de Tours. Julie, Agathe, Élisabeth et Ingrid, étudiantes en Gestion des entreprises et administrations (GEA), ont décidé de tenter le coup pour leur projet d’école. « Il n’y avait rien à Tours, ville pourtant connue pour ses cafés. Il y avait un potentiel. Et je trouvais ça tellement bien… On s’est donc lancées en novembre », raconte Ingrid Merleau. Voix douce, posée, elle explique s’être heurtée au refus de certains cafetiers de la place Plumereau et du Monstre. « À cause des stéréotypes… On s’imagine le SDF qui vient, dégoûte le client », soupire-t-elle, trouvant cette attitude « dommage ». « L’un d’eux nous a même dit : “ Je ne vois pas pourquoi je paierais le chauffage pour quelqu’un qui ne paie pas son café ’’… »
Pourtant, cela ne coûte rien au gérant et il peut poser ses conditions. Pour l’instant, ils ne sont que quatre cafés tourangeaux à participer. Les étudiantes aimeraient, bien sûr, plus de participants. « Ça a de très bonnes répercussions et ce n’est pas du boulot en plus pour eux ! » Un concept qui pourrait d’ailleurs aussi donner des idées à d’autres. « Baguette en attente » utilise le même principe : une achetée pour soi, l’autre mise en attente pour une personne dans le besoin. Une centaine d’établissements dans une soixantaine de villes en France participe. Succès plus mitigé en Touraine, puisque, pour l’instant, seule la boulangerie EmiNico à La-Croix-en-Touraine (près de Bléré) joue le jeu.
Cette philosophie du prendre et donner, c’est aussi ce que va tenter La Belle Rouge, à Joué-lès- Tours, une salle proposant habituellement des manifestations artistiques et culturelles. Le 18 mai, elle organise une Gratiferia. Un néologisme en espagnol qui signifie foire gratuite. L’idée, née dans les quartiers populaires d’Argentine, a tapé dans l’œil de Charlotte Ameslon, gérante de la salle, il y a deux mois. « C’est un marché gratuit, c’est sympa ! Pas d’argent, pas de troc ; tout dans un esprit de récup’ pour éviter de jeter », s’enthousiasme- t-elle. Venez les mains dans les poches, sans porte-monnaie, et… prenez ce qui vous fait envie ! Dix minutes après avoir créé l’événement sur Facebook, elle recevait déjà une cinquantaine de réponses ! « Il faut croire que les gens attendaient ça. Là, tout sera gratuit : et pas seulement les objets, mais aussi des services. »
Elle qui dit en avoir « marre de cette société de sur-consommation qui gaspille » a bien conscience que les gens risquent d’être gênés. « Ils vont probablement dire : je n’ose pas. Mais servez-vous, c’est gratuit ! » Une culture inhabituelle qui demande un temps d’adaptation. Car beaucoup pensent encore que ce ne peut pas être gratuit ET désintéressé… Autre zone de gratuité, autre démarche, le Happy troc. Organisé par Adresse à échanger, ce « rendez-vous convivial permet de s’échanger des objets (CD, vêtements, etc.) : du troc ! », explique Marjorie, fondatrice du site. Ce nouveau mode de consommation, qui a essaimé dans six villes de France, aura lieu à Tours à table, le dimanche 13 avril, de 16 h à 18 h. « Il suffit de s’inscrire sur notre site. Il y a une quarantaine de places. Ensuite, vous troquez gratuitement ! »
Une initiative mise en place, car Marjorie et sa collègue Manon sont « à fond sur la tendance du consommer autrement ». Et là encore, comme le café suspendu, « cela marche beaucoup à la confiance. C’est un principe de réciprocité. On n’échange pas qu’un objet. On échange aussi un bon moment ». À chaque fois, au-delà du simple côté gratuit, il y a aussi et surtout cette façon de repenser les rapports humains. « De partage », comme insiste Yohan Vioux, graphiste de Sous le manteau. Avec l’auteur Jérémy Bouquin, le photographe Philippe Lucchese et la relectrice Isabelle Maximin, ils mettent à disposition de tous des cartes postales, avec une petite histoire et un visuel. « On donne un accès gratuit à la lecture, au partage. On l’avait déjà fait avec des petits livres. » Là, leurs cartes postales sont disséminées dans Tours, dans le tramway, à l’Instant ciné… « Toutes racontent une histoire globale. Il y en a 25 au total et pour l’instant, 14 ont été distribuées. Certains les jettent par terre, d’autres les font voyager. Il y en a même une qui a atterri à… l’île de la Réunion ! »
Ces Tourangeaux ont fait ça pour « faire réagir sur notre société. » Un acte gratuit comme un autre, par ailleurs auto-financé à 100 % : « Les cent exemplaires de chaque carte sont imprimés par nos propres moyens… »
Lancée en 2011, la zone de gratuité à la fac des Tanneurs a eu un sacré succès, tout comme ses autres éditions. Idem pour celle du Bar Bidule chez Colette, ou encore celle mise en place rue Nationale à Noël 2013. Elles doivent être appréhendées. Expliquées. Comprises. S’habituer à penser en terme de « je prends ce dont j’ai besoin », plutôt que « je prends tout ce que je peux et j’amasse, car c’est gratuit ». Petit à petit, le 100 % gratis fait son chemin. Tours doit simplement se familiariser avec ces nouveaux modes de consommation et d’échange. L’écrivain Cesare Pavese disait : « Les choses gratuites sont celles qui coûtent le plus : elles coûtent l’effort de comprendre qu’elles sont gratuites… »
Aurélien Germain
++ Café en attente
tmv a décidé de s’associer à l’initiative Café en attente. Pour rappel, les établissements participant pour l’instant au concept sont : Sa Majesté des couches et le Corneille (rue Colbert), l’Instant ciné (rue Bernard-Palissy) et New 7 (Sanitas). Si vous voulez jouer le jeu, direction la page Facebook « Café en attente Tours ». Et rien ne vous empêche non plus de vous inscrire sur « Baguette en attente ».
+ E-books
De nombreux livres, tombés dans le domaine public, sont disponibles gratuitement en PDF sur livrespourtous.com ou encore ebooksgratuits. com À lire sur votre ordinateur ou sur smartphone et tablettes.
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