Maison Boinet : L'art de la ceinture
Publié le 07-03-2019 07:15:43 Modifié le 07-03-2019 07:15:43
Pendant la Fashion Week de Paris, Maison Boinet a exposé ses créations aux Tuileries. Des produits de luxe, nés à quelques kilomètres au nord de Tours.
Bienvenue à Château-Renault, chez l’un des derniers fabricants français de ceintures. C’est un accessoires que tout le monde porte mais que l’on oublie, il peut pourtant être très original, voire carrément couture. De l’extérieur, rien ne fait rêver une modeuse : la manufacture Maison Boinet est installée au milieu d’une petite zone industrielle.
Il faut se glisser dans une grande pièce annexe de l’usine pour entrer dans le monde des photos de mode et du luxe. Des corsets en cuir vernis et des ceintures pailletées sont présentés sur des étagères en faux marbre.
« C’est notre petit studio photo, explique Ewelina, responsable de la communication. Nous faisons le maximum de choses en interne, pour être plus souples, plus rapides mais aussi pour intégrer les salariés à chaque étape. C’est important de savoir ce qui se passe après, une fois les pièces fabriquées. »
La petite PME a été réveillée il y a dix ans par le groupe familial Vigin qui l’a rachetée et confiée à Bruno Jourd’hui. Le directeur imagine les collections et joue les VRP sur les salons de luxe. Après Pitti Uomo, la grande messe internationale de la mode masculine, mi-janvier, les ceintures made in Touraine s’affichaient début mars au salon Première classe, à l’occasion de la Fashion week.
UNE MANUFACTURE FAMILIALE
À 160 ans, la Maison Boinet s’est aussi offert une nouvelle jeunesse en ouvrant sa boutique en ligne, un saut nécessaire pour l’entreprise qui utilise encore des machines centenaires mais imagine des corsets en vinyle fluo. Avec ses 36 salariées et ses 4 stagiaires, elle reste une manufacture familiale. Tout le monde se connaît, certaines ouvrières travaillent ici depuis plus de trente ans.
Comme Isabelle, qui contrôle la qualité de chaque peau, l’une des rares femmes à occuper ce poste plutôt physique : les peaux de vachette sont lourdes. Elle entoure à la craie chaque défaut du cuir, même invisible pour un néophyte, avant de dessiner les bandes qui seront découpées puis encollées dans une machine, à la colle à l’eau. La teinture des tranches nécessite jusqu’à sept passages, les finitions se font à la main. Il faut ensuite poser les boucles, les œillets… La plupart des ouvrières sont polyvalentes et passent d’un poste à l’autre, comme Brigitte. Aujourd’hui à la couture des pochettes Origami en vinyle de la collection Eté, elle saute du perçage à la pareuse.
Cette organisation évite aux ouvrières la monotonie mais permet aussi à la manufacture d’être plus souple. « Nous avons travaillé avec des intérimaires en période de coups de feu, mais c’était compliqué. Certains manquaient de soin », explique Ewelina.
DES PIÈCES UNIQUES
La qualité. Le maître-mot de la petite usine, labellisée Entreprise du patrimoine vivant. Car Boinet est façonnier pour plusieurs marques haut de gamme et fabrique des pièces uniques pour de grands couturiers. Elle vend également ses propres créations au Bon Marché, à Paris mais aussi dans des magasins de luxe à Tokyo, Séoul, Singapour…
Monique, chargée de la qualité, contrôle la conformité de chaque pièce : couleur, finition, « main » – la souplesse et l’épaisseur de la ceinture finie – et les estampilles, avant leur emballage. Les ceintures doivent être soigneusement protégés pour ne pas s’abîmer pendant le transport : les boucles, emballées trop serrées, peuvent marquer le cuir.
Spécialiste de la ceinture depuis 1858, Maison Boinet s’attaque au marché de la maroquinerie depuis deux ans, avec prudence, car le sac à main nécessite un savoir-faire complexe, très différent. Amandine est l’une des deux maquettistes chargées des prototypes. Arrivée à l’usine par hasard il y a six ans, elle ne savait alors même pas qu’il restait des fabricants de ceintures en France, avoue-t-elle en riant.
Son habileté et son intérêt pour la création ont poussé la direction à lui confier ce poste particulier. D’après un dessin technique fourni par le styliste, elle coud un premier sac, dont les proportions et les finitions seront réévaluées selon sa « prise en main ». La création fonctionne encore de façon empirique : rien de tel que le regard, le toucher, pour voir ce qui fonctionne. Elle note également le temps de coupe et de montage, pour évaluer le coût de production final.
Chaque pièce possède sa fiche détaillée : le prix du cuir utilisé, des fils, de la bouclerie, du temps de main-d’oeuvre mais aussi de l’emballage… un euro d’écart, sur une pièce fabriquée 10 000 fois, peut coûter cher à l’entreprise ou trop augmenter le prix public. Tout est calculé. Par souci d’économie mais aussi pour ne pas gâcher.
C’est ainsi que la ligne de bracelets en cuir hyper chic est née en 2012 : la maison voulait valoriser des chutes de cuir. Vous avez dit upcycling ?