A Tours, la mode à portée de main
Publié le 02-06-2016 07:11:37 Modifié le 05-04-2019 16:39:56
Le Centre de formation aux arts de la mode préparent les jeunes créateurs à rejoindre les équipes qui imagineront les vêtements de demain. Le 4 juin, une cinquantaine de mannequins défileront au château Moncontour pour montrer leurs créations.
C’est un immeuble gris assez banal, comme on en trouve dans les quartiers résidentiels des années 1980. Mais derrière ses fenêtres bien alignées et un béton un peu passé, il dissimule une activité haute en couleur : des créations de mode. L’appartement a été transformé en ateliers, abritant ici une table ovale pour dessiner, là un entassement de valises et d’accessoires ou plus loin des bobines de fil à coudre multicolores. La ruche est en effervescence. Il ne reste qu’une dizaine de jours aux quatre créatrices diplômées cette année pour coudre, ajuster, rafistoler, peaufiner leur collection.
Vous avez dit quatre, seulement quatre ? En effet. Et c’est bien l’ensemble de la promo 2016. En fait, l’école ne compte que sept élèves et pour cause : elle a été conçue sur mesure, un peu comme la belle robe de soirée que vous rêveriez de porter lors d’un festival de Cannes. Sa directrice, Frédérique Payat, l’a créée pour « permettre aux jeunes qui ont du talent de tenter leur chance, même sans le bon diplôme ». Explication : alors qu’elle donnait des cours à des bacs pro « Métiers de la mode », Frédérique a réalisé qu’une partie des élèves ne souhaitait pas s’arrêter là. « Ce bac pro est une formation qui prépare à la couture plutôt dans l’industriel et dont nous avons vraiment besoin sur le marché. Mais certaines filles – la profession est très féminisée – voulaient continuer leurs études et devenir créatrices de mode », raconte-t-elle. Seulement voilà, les BTS que ses élèves auraient voulu intégrer sont quasiment tous accessibles avec un bac technologique STD2A, pas un bac pro. Toute une carrière en l’air parce qu’on n’est pas dans le bon cursus initial ? Oui, c’est idiot, décidément trop idiot pour Frédérique qui rêvait d’ouvrir sa propre école depuis presque aussi longtemps qu’elle est sortie de la sienne à Lyon, en 1986. « Les filles et mon conjoint m’ont convaincue de passer à l’action et du coup je me suis lancée », raconte-t-elle avec fierté.
L’école existe maintenant depuis quatre ans. Derrière ce beau projet et ces envies qui se sont rencontrées, la réalité comprend évidemment avantages et inconvénients. Si les filles bénéficient d’un suivi personnalisé, d’une école privée peu chère et installée dans leur ville d’origine, elles ne profitent pas de la renommée d’une école nationale et reconnue. De son côté, Frédérique ne s’est pas payé les trois premières années et gagne encore très peu. Elle ne compte pas ses heures et s’attaque ce mois-ci à un problème essentiel : déposer une demande de diplôme reconnu par l’État, car pour l’instant elle ne détient qu’un agrément. Autrement dit, si demain l’école ferme ses portes, les élèves auront du mal à justifier de leur formation de deux ans auprès des employeurs.
Pour les jeunes créatrices ces considérations sont secondaires. Elles voulaient pouvoir se former et avoir la chance de faire leurs preuves : c’est chose faite. Le samedi 4 juin, elles présenteront une collection comprenant environ 15 pièces chacune, sur lesquelles elles ont travaillé pendant environ six mois. Les vêtements qu’elles ont confectionnés sont aussi riches et hétéroclites que leurs auteurs. L’égalité des chances, ici, ce n’est pas un vain mot.
Derrière sa machine à coudre, Madelyne prépare une robe bordeaux, fendue sur le côté gauche. Simple effet de style ? Pas du tout. Cette robe a été spécialement conçue pour Amanda, 20 ans, mannequin d’un mètre soixante-quinze, qui est tatouée à l’endroit exact où la robe s’arrête. « Chaque élève choisit un thème pour sa collection », explique Frédérique. Madelyne, intéressée par le street wear « plus que par les robes de princesses » a axé sa collection sur le tatouage et a ainsi choisi tous ses mannequins selon ce critère, leur créant des vêtements sur mesure pour qu’ils affichent leurs œuvres encrées.
Deux hommes défileront aussi pour elle. Chantelle, la cadette de la promotion avec ses 19 printemps, voulait jouer avec les matières. Elle a intitulé sa collection « Choc climatique » et alterne les tissus légers, fin et fleuris avec des matières comme le cuir. Elle ne compte plus les heures qu’elle a passé sur ses manteaux, « des pièces particulièrement longues à fabriquer ». Les grandes marques comme Dior et Chanel, elle n’y pense pas. « Pour le très haut de gamme, on sait qu’on restera probablement des petites mains, alors qu’ailleurs on a peut-être une chance d’avoir, un jour, nos propres créations », analyse-t-elle. Elle se dit plus intéressée par des marques comme Maje et Sandro, un luxe encore accessible. Ces enseignes intéressent aussi Yunfei, l’aînée de la promo qui a 25 ans. Renversant les clichés, la jeune Chinoise vient coudre en France. Le savoir-faire l’intéresse, elle qui n’a jamais appris à coudre. « Paradoxalement, celui lui ouvre un champ de création beaucoup plus vaste. Alors que ses camarades s’auto-limitent parfois à cause de la technique, elle, ne sachant pas que cela va être compliqué, imagine des vêtements incroyables », note Frédérique. Perfectionniste, persévérante et minutieuse, elle a choisi le thème du noir et blanc, tout en transparence. Son rêve ? Créer une marque ici pour l’exporter ensuite dans son pays d’origine.
La quatrième et dernière diplômée cette année est Tania, 23 ans. Elle s’attaque à un thème ambitieux : l’Afrique en Asie, « un mélange de pureté et de chaleur qui vous transportera dans mes souvenirs les plus heureux » présente-t-elle. Originaire de Côte d’Ivoire, elle vit à Tours depuis de nombreuses années et a voulu créer un défilé ethnisé, aussi bien grâce aux tissus et aux mannequins qu’à la musique. « Ces deux continents ont des identités fortes, des cultures marquées. J’étais curieuse de les mélanger », explique-t-elle. Les jeunes femmes ont la niaque et ça se sent. Pour leur défilé elles attendent entre 300 et 500 personnes. Et après ? Des formations pour monter son entreprise, plus d’expérience en couture ou encore des voyages pour découvrir de nouvelles cultures : aucune ne semble à court d’idées.
Reportage & photos : Julia Mariton
>Le samedi 4 juin à 18 h ou 20 h 30, au château de Moncontour, à Vouvray
>Accès par la D952 ou D47
>Réservation conseillée au 07 87 07 20 37.
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