Une nuit à Tours : 5 lieux, 5 histoires.
Publié le 23-01-2019 06:51:16 Modifié le 23-01-2019 06:51:16
#EPJTMV. La fête. C’est ce que font les honnêtes gens une fois le soleil couché. Mais qui dit fête dit organisation. Nous avons suivi cinq acteurs de la nuit tourangelle, ceux qui contribuent à ce que vous passiez de bonnes soirées.
21 H
Un trapèze pend au milieu de la scène. Les artistes sont déjà en coulisses en ce début de vendredi soir. Tous, sauf une. Nellea Toulme, 32 ans, est sur scène, suspendue au trapèze. Habillée en tenue de sport, l’acrobate russe est déjà maquillée, prête à impressionner une salle qui affiche une nouvelle fois complet. L’artiste a rejoint le cabaret Extravagance en 2012. Un univers différent du cirque, dans lequel elle évoluait depuis toute petite. L’acrobate blonde aux yeux bleus et au sourire étincelant ne regrette pas ce choix : « Aujourd’hui, je ne fais plus un seul numéro, mais un spectacle de deux heures. La scène, c’est ma vie. Plus j’y suis, plus je suis heureuse. »
De retour en coulisses, Nellea prend part aux discussions du groupe, où les blagues fusent. Les visages se ferment, la pression monte. L’acrobate répète son numéro de barre russe avec ses deux acolytes cubains, Yoelis, son conjoint depuis deux ans, et Mihai. Nellea monte sur cette barre pour la première fois depuis deux semaines. Elle veut éviter la blessure. Une hantise pour tous les acrobates. « Tout peut s’arrêter du jour au lendemain. »
LE PUBLIC, CLÉ DU SPECTACLE
L’acrobate vit avec cette appréhension : elle n’a plus quitté le monde du spectacle depuis ses cinq ans. « Enfant, j’avais un problème cardiaque. Les médecins me disaient que j’allais mourir si je me mettais au sport. Mais j’ai convaincu ma mère de m’inscrire à la danse. » Devenue professionnelle à l’âge de 11 ans, Nellea a commencé à performer dans les grandes villes russes pour le Cirque national. À cette époque, ses parents ne voulaient pas qu’elle devienne acrobate. « Je devais leur prouver qu’ils avaient tort. »
Aujourd’hui, Nellea se confronte à un défi de taille qui se renouvelle lors de chaque spectacle : conquérir le public. « Nous sommes dépendants du public. Un soir, il nous arrive d’être très fatigués mais de faire un spectacle parfait car les spectateurs répondent présents. » Ce vendredi soir, ce ne sera pas le cas. Lors de son premier numéro, Nellea subit quelques remarques désobligeantes. Un regard et un signe de la main suffisent à faire taire l’individu. La suite du spectacle se déroule dans une ambiance bruyante. Reste que les applaudissements pleuvent lors du clou du spectacle, vers une heure du matin. Des horaires qui ne dérangent pas Nellea, bien au contraire. « J’ai du temps libre en semaine pour sortir et m’occuper de ma famille. » Consciente des épreuves parcourues, l’acrobate profite malgré cette soirée mitigée : « Nous vivons de notre passion. Nous sommes des privilégiés. »
22 h
On passe pas. « Pas ce soir, mais demain il n’y a pas de soucis ! », s’exclame l’un des deux portiers au client qui ne peut pas présenter sa carte étudiante. Une situation fréquente dans la discothèque Les 3 Orfèvres, cachée dans une petite rue près de la place Plume, à Tours. Durant toute la nuit, les deux portiers, James et Frédéric* maintiennent leur position devant l’entrée. Le froid ne semble pas les perturber. Habillés tout en noir, leur stature impressionne les clients. En observant la foule, les visages des portiers sont figés. Dans leurs vies privées, ils ont déjà été reconnus et abordés. C’est la raison pour laquelle ils préfèrent garder leur anonymat.
Ils font ce travail depuis une dizaine d’années, un métier dans lequel ils sont souvent confrontés à des difficultés. Dès les années 80-90, la profession s’est développée et les diplômes sont aujourd’hui obligatoires. Chargés de la sécurité de la discothèque, les portiers sont tenus de trouver les meilleures solutions pour prévenir des risques. De la même façon, le terme « videur » s’est transformé en terme de « portier ». En cas de problème, ils évitent d’intervenir physiquement sauf si cela devient nécessaire. Les deux hommes ne sont pas souvent confrontés à ce genre de cas extrêmes.
« Le premier problème, c’est l’alcool », explique Frédéric, l’un des portiers. Ils savent cependant réagir aux attaques potentielles. Leur objectif est de veiller à ce que les clients passent du bon temps. Chaque soirée est différente. Les portiers vivent des moments hors du commun en rencontrant un public varié.
23 h
Se chauffer la voix pour chauffer la piste. Les premiers chanteurs se lancent dans le grand bain au Feeling un club karaoké de Tours. Si vous êtes timide, pas de panique, Yohann sait mettre à l’aise. « Je ne force jamais les gens à chanter mais je sais comment les titiller », admet l’animateur, un brin taquin. Parmi les participants, des habitués, des néophytes, des jeunes, des nostalgiques de leurs années jeunesses… Parmi eux, un duo se fait remarquer sur la chanson « Les Mots », de Mylène Farmer et Seal.
Jackpot ! Ils auront l’honneur de participer au concours « Micro d’or » organisé en mars. La salle applaudit et Yohann les félicite chaleureusement. L’animateur est la définition même de l’homme de la nuit. En témoigne son parcours. À l’âge de 18 ans, il commence à exercer ses talents de DJ en Touraine : « J’ai fait un remplacement à une soirée et je n’ai plus arrêté, raconte Yohann en testant son micro. J’ai pas mal bourlingué, en travaillant pour différentes radios et différents clubs. » Pendant plus de vingt ans, il vit la nuit et enchaîne les soirées.
PARTIR POUR MIEUX REVENIR
Mais ce quotidien est éprouvant, physiquement et psychologiquement. Fatigué, il décide de partir en Guadeloupe pour se reposer, avec le sentiment d’avoir fait le tour : « Je voulais prendre ma retraite en quelque sorte. J’avais quasiment tout connu dans ce milieu. » Finalement, il revient sur Tours quelques années plus tard.
Mais le monde de la nuit a sacrément changé : les affluences sont en baisse dans les boîtes. « Il y a quelques années, je faisais des soirées avec 1 500 personnes et c’était banal ! Quand je suis revenu, rassembler 400 personnes dans une boîte, ça semblait exceptionnel… » C’est à ce moment-là qu’il rencontre Christophe, le gérant du Feeling. Yohann lui propose de monter un karaoké, pour diversifier l’activité de la discothèque. « On a fait ce pari-là et ça paye ! explique Christophe. On a connu quelques galères mais aujourd’hui, on a réussi à fidéliser une clientèle. C’est une boîte où il fait bon vivre, où les gens se sentent bien. Le Feeling porte très bien son nom ! » Habituellement, Jean-Jacques Goldman, Céline Dion et Johnny Hallyday sont les plus sollicités par les apprentis chanteurs. Mais la palette est large, puisque près de 30 000 titres sont disponibles ! Si nous, jeunes journalistes que nous sommes, avons dû partir à minuit pour rédiger l’article dans les temps, pour les stars du soir, la soirée ne faisait que commencer.
0 h 45
Bienvenue au Marquis. Ils sont déjà trois à attendre patiemment l’ouverture de la porte en bois du Marquis, la boîte de nuit de la rue de la Monnaie. Bitwiss les a remarqués sur son écran de surveillance, installé à côté de ses platines. Il sourit : ce soir, il devrait y avoir du monde. Une casquette au logo de la discothèque vissée sur la tête, concentré, le DJ installe son ordinateur, branche quelques câbles et lance la musique. Quelques boutons enclenchés et les lumières colorées s’allument. La boîte est prête et n’attend plus que les fêtards. Depuis plus d’un an, Bitwiss, ou DJ Bitwiss dans sa profession, travaille au Marquis du mercredi au samedi en tant que disc-jockey résident.
De l’ouverture de la discothèque, à une heure, à sa fermeture, à 6 heures du matin, l’homme est chargé d’animer la soirée, « d’ambiancer les clients ». Et dans cette boîte de nuit généraliste, il est parfois dur de plaire à tout le monde : « Il faut cerner les gens et nous avons jusqu’aux heures de pointe pour faire monter l’ambiance », raconte Bitwiss. Cela passe parfois par l’observation des tenues des clients ou par des tests entre plusieurs titres pour voir lequel fait le plus danser.
Mais le plus important, c’est l’influenceur : « C’est celui qui a du charisme, qu’on va regarder et qui aime qu’on le regarde. Si on arrive à le faire danser, alors il va entraîner tout le monde. » Il faut donc être réactif et choisir les bonnes musiques au bon moment. La tendance collective est à Aya Nakamura et Vegedream. « Si je ne passe pas “ Ramenez la coupe à la maison ”, je me fais huer », plaisante- t-il.
SORTIR DE L’OMBRE
Ce monde de la nuit, Bitwiss le côtoie depuis un moment. C’est d’abord son cousin qui l’a initié à la production musicale en le prenant sous son aile. Mais tout bascule lorsque sa petite amie lui offre ses premières platines. « J’étais fou, je n’en dormais plus la nuit », se souvient le jeune homme. Un peu timide, il finit par prendre son courage à deux mains et se présente au bar ambiance Outback bar, à Tours. Puis tout s’enchaîne. Il est appelé pour mixer dans de nouvelles discothèques et fait la rencontre de celui qu’il appelle « son mentor », DJ Jons.
Ce dernier lui fait passer un test et décide de l’aider à se développer. Et c’est en tant qu’élève du DJ que Bitwiss se fait connaître au Marquis, dont il est fidèle et client, avant de finir par être embauché.
Pour les années à venir, le jeune homme souhaite se laisser porter. « Je me plais bien au Marquis et j’ai la chance de vivre de ma passion. » Une passion qui semble porter ses fruits, puisque chaque soir, de nombreux danseurs font une pause dans leur folle soirée pour venir féliciter le DJ et lui poser des questions sur son métier. Bitwiss pourrait faire naître des vocations.
1 h 30
Jo devant ! Il incarne à lui seul l’esprit de « l’Aca ». Jo, de son vrai nom Jocelyn (un mythe vient de tomber) fait partie des murs de l’Académie de la bière. C’est simple, il connaît tout le monde. Enfin, presque. Considérez qu’un « ça va doudou ? » permet de dissocier les descendeurs de pintes du commun des mortels. Une proximité avec la clientèle que Jo revendique volontiers : « C’est notre marque de fabrique. On essaye d’être fidèles à nous-mêmes, bruts de décoffrage. C’est ce que les clients recherchent avant tout. » Gérant associé du bar depuis quatre ans, cet ancien manager de restauration en connaît les moindres recoins : « Je venais boire des coups et jouer au billard à “ l’Aca ” quand j’avais 16 ans, c’est dire si l’endroit m’est familier », se rappelle-t-il.
Depuis, l’endroit a bien changé. Le billard a laissé place à une piste de danse et le bar s’est rallongé de quelques mètres, de quoi aligner les litres de Délirium beaucoup plus facilement. Habile. Jo est omniprésent. Toujours blagueur et chambreur, il fait de « l’Aca » un endroit chaleureux, idéal pour des soirées entre amis, un peu moins pour un premier rencart. Devant un débutant dans l’art de finir pompette, Jo annonce la couleur : « Si tu me demandes un mojito, je me fous de ta gueule. »
Ici, la bière est une religion. De 20 h à 5 h du matin, du mercredi au samedi, Jo donne des conseils d’expert sur les différentes bières proposées jusqu’au bout de la nuit (aucune ne garantit un lendemain sans gueule de bois). Un mode de vie particulier que Jo ne changerait pour rien au monde : « Je prends beaucoup de plaisir dans ce que je fais et c’est bien là l’essentiel. Dans la restauration, j’ai bossé comme un con, avec des horaires invivables. Aujourd’hui, l’équilibre que j’ai trouvé me convient parfaitement et me permet de profiter de mon fils. »
« TU ME DEMANDES UN MOJITO : JE ME FOUS DE TOI »
À partir de minuit, « l’Aca » et sa piste de danse proposent une ambiance festive. Plus les heures passent, plus Jo semble à l’aise, « toujours à 200 % ». Une image de grande gueule que le barman de 40 ans a mis du temps à maîtriser : « Dans mes anciens boulots je n’étais pas libéré, j’étais assez timide et réservé », admet-il avant d’enchaîner « en arrivant ici, je me suis inventé ce rôle de showman. Mais je me suis rapidement rendu compte que ce n’était pas un rôle. C’est vraiment moi. »
Entre deux fûts de Délirium, il donne sa définition de « l’Aca » telle qu’il la gère depuis quatre ans : « Je suis là pour répondre aux délires des gens. Ma patte, c’est d’être présent pour eux, faire le con ou le comédien s’il le faut. Ce qui m’importe le plus, c’est que venir à l’Aca soit un plaisir et un très bon souvenir. » Mission réussie !
*Les prénoms des portiers, souhaitant garder leur anonymat ont été changés.
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.
Textes : LOUIS BOULAY / CELINA EHRLICH / ÉLISE GILLES / CAMILLE MONTAGU / ARNAUD ROSZAK
Photos : BENJAMIN BAIXERAS / ÉLÉA CHEVILLARD / LUCIE ROLLAND / SUZANNE RUBLON
[#EPJTMV / Cet article fait partie du numéro 321 de tmv, entièrement réalisé par les étudiant(e)s de 2e année en journalisme de Tours]
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